La dernière utopie
Caroline Fourest
Notes de François Verhulst, en contrepoint de celles de Jean Piron
Caroline Fourset introduit et précise une série de notions fondamentales pour bien comprendre les enjeux :
le différentialisme = « une façon de considérer l’autre comme différent au point de lui appliquer un traitement ou un jugement de valeurs différencié, qui conduit inévitablement à l’inégalité » (p.9)
le multiculturalisme = « la volonté de célébrer la diversité et de respecter les différences » (p.10) + développement p.115
le communautaire = « se regrouper sur la base d’une identité ou d’affinités culturelles » (p.129)
le communautarisme = « se regrouper dans le rejet des autres et des règles communes, au point de vouloir déroger à l’universel » (p.129)
le droit à la différence = « je reconnais ta différence pour mieux te traiter à égalité » (p.10)
le droit à l’indifférence = « je te traite comme si tu n’étais pas différent, donc sans distinction »
Elle introduit aussi le rappel des origines, de l’histoire de chaque nation comme nation, qui l’amêne à privilégier telle ou telle approche, et plus particulièrement l’histoire de la nation française post-révolutionnaire, de la nation britannique post schisme anglican et celle de la nation états-unisienne, née de la migration et de la conquête.
Chaque histoire marque la façon dont les nations envisagent la diversité et la traitent :
les français sont passés par la radicalité de la révolution pour établir une nation laïque, libre de toute domination, très centralisée,
les anglais ont mélangé les questions religieuses et politiques lors du schisme anglican, consacrant la relation étroite entre le pouvoir politique et le pouvoir religieux,
les américains ont immigré pour défendre leur droit à une religion distincte et gagner la liberté de la pratiquer, et se sont construit une nation très décentralisée, avec des états autonomes. De plus, ils doivent traiter la question des peuples qui étaient à l’origine sur les terres qu’ils ont conquises comme celle des esclaves noirs qu’ils ont fait venir.
Elle parle aussi, à mots trop couverts selon moi, des influences religieuses et de la tendance de toute religion à se placer au-dessus des lois décrétées par le groupe humain, dont les textes fondateurs incitent à la domination et à la séparation entre croyants et non croyants.
Son « credo » est que la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme est le seul texte fondateur qui ne contient aucun article qui incite à la haine, à la domination ou à la discrimination mais, au contraire, qui les combattent.
Le livre évoque aussi les règlements de comptes dont est victime la Déclaration dans le cadre des Nations Unies, de la part des anciens pays colonisés ou soumis, qui stigmatisent et caricaturent toute atteinte à la liberté du côté du vieux continent, sans avoir la même vision et la même exigence pour leur propre bord. L’appel à la Déclaration y est rapidement vu comme un retour du colonialisme.
Il signale enfin les entorses dont les pays du vieux continent font preuve lorsqu’il s’agit de traiter avec des pays émergents comme la Chine, où les Droits de l’Homme sont loin d’être respectés
Enfin, il montre les visions antagonistes qui existent entre « des pays peu sécularisés où l’on peut inciter à la haine contre des individus en raison de leur religion mais où il est interdit de porter atteinte aux symboles de la religion dominante » et « des pays laïques, où l’on peut critiquer toutes les religions et leurs symboles mais pas inciter à la haine contre des individus de façon raciste … ou nier un crime contre l’humanité » (p. 48)
La grande question au centre du livre est « comment traiter les différences » ?
Faut-il les valoriser, au risque de les maintenir et de perdre la base commune ?
Ne faut-il les reconnaître que provisoirement, pour permettre d’atténuer une injustice et d’accéder à l’égalité ?
Faut-il établir des quota, des obligations de parité ou d’alternance ?
Quels sont les effets positifs et quels sont les effets pervers à terme de ces mesures ?
Cette question s’applique à tout ce qui différencie : l’origine, la couleur de la peau, même le genre (puisque les femmes sont souvent encore discriminées).
Elle parle des « discriminations positives », nécessaires dans des pays fortement inégalitaires où il n’existe aucune autre possibilité pour rattraper l’écart existant entre certaines catégories de population (p.82), au risque de voir s’affirmer les consciences de castes ou de minorités.
Le risque est que « le respect de la diversité peut se substituer, voire s’opposer, à la recherche d’égalité » (p.92)
La « discrimination positive » n’est acceptable que si elle apporte de la cohésion, pas de la division.
Caroline Fourest développe les deux grands modèles d’intégration :
le modèle républicain français qui favorise l’intégration au sein de l’Etat-nation,
le modèle anglo saxon de type fédéraliste qui organise la coexistence dans la diversité.
Tout en citant toutes les nuances d’entre deux qui peuvent exister dans différents pays.
Comment respecter la diversité sans défaire l’unité ? Une des questions abordées est celle des « accommodements raisonnables », appliqués dans la législation canadienne. Ce principe est défini comme « l’obligation qu’ont l’appareil étatique ou les organismes privés d’aménager leurs pratiques, lois et règlements afin d’accorder, dans les limites raisonnables, un traitement différentiel à certains individus qui risquent d’être pénalisés par l’application d’une norme à portée universelle » (p.186). Parmi ces accommodements, il y a la question du voile, développée en plusieurs endroits dans le livre, dont les p. 221 à 225.
Le problème est que la notion de « raisonnable » évoquée ici repose sur une conception plus subjective et morale que juridique et qu’elle est inapplicable en pratique dans une législation.
Enfin, l’auteur signale l’échec des politiques de tolérance, comme celle des Pays-Bas, qui mène à la radicalisation de minorités islamistes avec, en réponse, la montée d’une extrême droite xénophobe et donc de tensions et d’oppositions parfois violentes entre communautés.
En finale, l’auteur nous livre sa conviction : « le filtre laïque apparaît comme le seul moyen de sauver le multiculturalisme de sa tentation différentialiste, sans tomber dans la xénophobie ou l’illusion mono-culturaliste » (p.213) et nous propose des clés pour distinguer les bonnes pratiques :
les demandes de différentiation sont-elles émancipatrices ou régressives ?
la laïcité, comme principe constitutionnel fondateur, est-elle sauvegardée ?
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