SEXE ET IMAGES DE FEMMES DANS LE CINÉMA DE

1ÈRE S THÈME COULEURS ET IMAGES TP N°8
28 THE IMAGE USER AND THE SEARCH FOR IMAGES
3BIT RGB COLOR PALETTE FOR COLOR IMAGES EVERY COLOR

61 VISUAL IMAGES ONEIRIC SCENES AND MADNESS AN ESCAPE
68 CHAPTER VI IMAGE PROCESSING THE TWO SAR IMAGES
A CLUSTERBASED TARGETDRIVEN ILLUMINATION CORRECTION SCHEME FOR AERIAL IMAGES

SEXE ET IMAGES DE FEMMES DANS LE CINEMA DE LA NOUVELLE VAGUE : UN CONTRE EXEMPLE DE DOMINATION

sexe et images de femmes dans le cinéma de la Nouvelle Vague : un contre exemple de domination ?


Frédéric Gimello-Mesplomb



Considérer la domination comme un principe ne vise pas à la naturaliser, bien au contraire, mais à tenter peut-être de mieux la circonscrire. Chose loin d’être aisée, car la domination, et à fortiori la domination sexuelle, fait encore partie de ces mots-valises, mots à géométrie variable englobant tantôt les relations de pouvoir, tantôt les luttes de classes, les rapports sociaux, les luttes de sexe, sinon les luttes du sexe... Nous nous interrogerons ici sur l’un des aspects de la domination, aspect peut-être moins abordé, certes, mais non moins digne d’intérêt : la domination à l’image. De quelle façon et avec quelle mythologie l’image de la femme fut-elle mise en scène dans le cinéma français de la Nouvelle Vague (1958-65) ? Sur le plan méthodologique, le choix de cette mouvance esthétique n’est certes pas innocent : à côté de l’étude d’un film donné –qui peut toujours paraître comme étant le point de vue subjectif d’un cinéaste sur un sujet- il nous semble nécessaire de s’attarder sur un groupe artistique relativement cohérent afin d’explorer la façon dont le cinéma pense, construit et fantasme la dimension de la femme. L’époque des années soixante n’est elle non plus pas innocente, car les grands enjeux sociaux du siècle, dont l’émancipation de la femme, se s’affirmèrent dans son creuset. Notons enfin que ce travail doit beaucoup à l’article fondateur de Laura Mulvey « Visual Pleasure and Narrative Cinema », qui fut l’un des premiers textes à engendrer une réflexion sur le cinéma hollywoodien de l’Age d’Or et sur l’image des rapports de sexe qu’il véhiculait. Nourrie de Freud et du fétichisme, Murvey définissait le regard de la caméra comme intrinsèquement masculin, car réalisé dans tous les cas par un cinéaste homme, et les actes des personnages masculins propres à la diégèse comme également dominants car assignants la plupart du temps aux personnages féminins la position d’objets 1.


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Si des études récentes ont rappelé que la dimension sexuée des productions culturelles est une donnée universelle 2, il apparaît tout autant nécessaire de préciser que cette dimension sexuée se fait au travers la mise en scène de la domination. Une lecture attentive du cinéma nous montre en effet que la domination fonctionne au centre de la mise en scène cinématographique comme un principe d’organisation hiérarchique, et pas uniquement la domination sexuelle, même si celle-ci y joue effectivement un grand rôle, mais également la domination sociale, ethnique (le péplum), culturelle (le western)... Il s’agit cependant dans la plupart des cas d’une domination masculine.

D’où vient cette tendance ? Plusieurs hypothèses peuvent être envisagées. Du strict point de vue de la proportion hommes/femmes au sein de la profession, force est de constater que le cinéma fut, dès ses origines, un monde excessivement masculin. La commercialisation intensive dont il fut rapidement l’objet eut pour conséquence principale l’exclusion des femmes du marché de sa fabrication et de sa diffusion. Pour la plupart d’entre elles, l’obstacle principal à la création de films étaient les bases artistiques et culturelles, mais surtout l’accès aux capitaux, domaine jusque là réservé au sexe masculin. Et puis le cinéma était un monde suspect, souffrant d’une réputation douteuse: milieu d’hommes, les projections se déroulaient sur des places de marchés, dans des entrepôts surchauffés ou dans d’obscures salles de café où se pressait un public essentiellement masculin. Ceci rend d’autant plus intéressant les parcours de femmes cinéastes comme Alice Guy 3, Rose Lacau ou Germaine Dulac, qui durent franchir plusieurs niveaux d’oppositions, tant matérielles que symboliques, avant de parvenir à camper derrière une caméra.


L’organisation des studios, aux Etats-Unis, fut elle aussi durant des décennies l’un des exemples modèle de phallocratie organisée. La réussite commerciale de certaines compagnies (dont la MGM) se fit le plus souvent sur l’image glamour d’une séduction féminine qu’il était alors de bon ton de faire passer comme normative mais qui restait en soi une image modelée par le regard masculin, même si des cinéastes comme Lang ou Preminger s’attachèrent avec brio à la contourner ou à la dépasser. Quand Hollywood, après la seconde guerre mondiale, conquit la première place du marché mondial de la production et de la distribution de films, la norme hollywoodienne conduisit toute une génération d’actrices à épouser les codes d’un rapport de forces intrinsèquement sexué qui se présenta alors à l’écran en position d’alternative unique. Dans la logique de la soumission à la normalité, l’image de la « femme fatale » fut diffusée comme telle sur les écrans du monde occidental. Se soumettre à l’image dominante ou périr. Séduire ou périr. S’intégrer par cette image dans un monde masculin qui détient les capitaux, les structures industrielles et syndicales, le pouvoir de vous faire tourner et de vous faire exister à l’écran. La femme fatale était-elle finalement celle qui détenait le pouvoir, comme il est de bon ton de le croire aujourd’hui ? Conclusion peut-être un peu rapide...


Le cinéma français n’a pas échappé à cette tendance. La Qualité française des années cinquante construira sa doxa sur des outils forts simples : scénarios ciselés, auteurs rompus à la technique, mais aussi une politique de « starification » calquée sur celle d’un cinéma américain dont les syndicats voulaient pourtant (déjà) se protéger. Toujours est-il qu’en ce qui concerne l’image des rapports de sexe, on reproduisait aux studios de la Victorine les mêmes mythes qu’à Hollywood. La magie en moins. A l’écran, Danielle Darrieux, Edwige Feuillère ou Martine Carol (révélée en 1951 grâce à Caroline Chérie de Richard Pottier) n’ont jamais explosé en dehors de rôles taillés sur mesure par des auteurs plus soucieux de préserver les bonnes mœurs que de confier à la femme une position où elle aurait effectivement pu mettre l’homme-acteur en position de faiblesse... Jacques Siclier notait en 1961 : « Cette surenchère continuelle à l’égard des grandes vedettes, que l’on s’attachait à prix d’or parce qu’elles avaient la faveur du public, a accentué le malentendu de base. Un film construit autour de Fernandel, Pierre Fresnay, Jean Gabin, Gérard Philippe, Edwige Feuillère, Michelle Morgan, Martine Carol, Danielle Darrieux, Françoise Arnoul ou Brigitte Bardot, n’avait d’autre but que de mettre en valeur, dans le rôle que définissait sa personnalité physique ou morale, l’acteur ou l’actrice considéré que l’on dotait ainsi d’une personnalité cinématographique. On en aboutit à des films presque tous semblables où les acteurs viennent faire le numéro qu’on leur demande [...] Cette spécialisation des interprètes fausse en partie les goûts du public. Le public, qui ne « reconnaît » pas Martine Carol dans Lola Montes, ni Françoise Arnoul dans Sait-on jamais ?, sanctionne alors des échecs commerciaux qui n’en auraient pas été si des années de tradition de la Qualité n’avaient fixé des normes invariables » 4. Ainsi, du Salaire de la Peur (Clouzot, 1953) à Des gens sans importance (Verneuil, 1955), Françoise Arnoul accumulera les rôles de serveuses séduisantes et dociles, tandis que Dany Carrel sera abonnée à ceux d’ingénues timides de La cage aux souris (Jean Gourget, 1954) à La Môme Pigalle (Alfred Rode, 1955) en passant par Ce corps tant désiré (Luis Saslawski, 1959). Bref, pour Catherine Gaston-Mathé, « ce cinéma cherche à plaire à un hypothétique « spectateur moyen », ce qui restreint considérablement la liberté d’expression et conduit au conservatisme [...] . Conduisant à la réduction des conflits potentiels, il crée et conforte le conformisme social et politique. Rejetant ce qui divise, il fait l'impasse sur les sujets de controverse et produit une peinture déformée des réalités» 5.


La domination masculine trouvera dans le cinéma de la Qualité française un certain confort et une légitimité assise au sein même des scénarios. L’exhibition à l’écran de starlettes aguicheuses ne changeait rien sur le fond ; au mieux elle créait une édulcoration évidente de toute idée subversive. Aussi, tout un pan de la production hexagonale se développera parallèlement à (et dans une certaine mesure contre) l’image sexuée du cinéma de la Qualité, en exploitant le symbole de la prostitution urbaine et de la supposée aliénation de la femme au vice plutôt qu’à la nécessité de travail. Des cinéastes tels que Maurice Cloche (Bal de Nuit, 1959), André Berthomieu (Pigalle-Saint Germain des Près, 1950), Léoni de Moguy (Le long des trottoirs, 1956 et Piège à filles, 1957), Ralph Habib (Les compagnes de la nuit, 1953), Roger Richebé (La fille Elisa, 1956), Denis de la Patellière (Le salaire du Péché, 1956) ou le bordelais Emile Couzinet (Quai des illusions, 1956), connaîtront une certaine audience sur cette image de la femme en produisant quantité de mélodrames réactionnaires et sordides où la séduction féminine sera présentée comme étant l’inévitable antichambre du trottoir 6. Analysant en 1996 la thématique de la domination sexuelle dans le cinéma des années 50, Noël Burch et Geneviève Sellier (dans un travail non exempt, il est vrai, d’un certain parti-pris) étaient restés consternés par le nombre de films qui, sans toujours traiter directement de la prostitution, pouvaient toutefois être thématiquement renvoyés à cette catégorie: « Nous avons dénombré au moins 25% de films qui présentent des figures misogynes, avec différentes variantes. Ce sont soit des films mettant en scène des « garces maléfiques » qui provoquent, consciemment ou inconsciemment d’ailleurs, le malheur des hommes, soit des films dans lesquels la femme est toujours punie, par la mort en général, pour avoir essayé de construire sa vie de manière autonome7 ». Ainsi, le scandale entourant Les Amants de Louis Malle serait surtout venu du fait qu’à l’épilogue du film la femme restait vivante et impunie... De cette idéologie dominante, l’image de la femme ressort mise en scène avec un manichéisme rare : vierge innocente ou prostituée8. Tandis que la Centrale Catholique du Cinéma a

Brigitte Bardot.

En cas de malheur

(C. Autant-Lara, 1958)

valisait ce cinéma volontiers moralisateur, on comprend mieux ce que fut le mythe Bardot en explosant sur les écrans en 1956 avec
Et Dieu créa la femme de Roger Vadim.


Car que se soit André Bazin dans « La carolinisation de la France » (Esprit n° 22, 1954, en réaction au Caroline Chérie de Christian-Jaque), François Truffaut dans son pamphlet « Une certaine tendance du cinéma français » (Cahiers du Cinéma n° 31), ou Jacques Doniol-Valcroze dans son fameux article « Déshabillage d’une petite bourgeoisie sentimentale » (idem), on peut noter que l’hostilité de la politique des auteurs vis à vis du cinéma de la Qualité se manifestera en premier lieu sur la question de la « starification » à la française et sur le rôle assigné à la femme dans la plupart des films produits en ces années-là. Doniol-Valcroze se livre ainsi dans son texte à une minutieuse analyse sur la fonction de la femme dans quelque 63 films français tournés entre janvier 1945 et décembre 1953 : « Trente-cinq bourgeoises, vingt et une femmes du peuple, dix aristocrates, six prostituées, deux paysannes, deux indéterminées. Inutile d’examiner les résultats année par année, la bourgeoisie domine sans cesse. De plus, sur les vingt et une héroïnes dites du peuple, une bonne moitié n’est pas située dans un cadre social vraisemblable. […] Si nous laissons parler les chiffres de notre tableau, nous arrivons à la conclusion suivante : l’héroïne moyenne du cinéma français (d’une certaine qualité) de 1945 à 1953 et une jeune femme d’environ vingt-cinq ans, bourgeoise, vivant de nos jours, présentée de façon qui se veut réaliste, ayant dans le film une fonction romanesque et symbolisant de façon assez primaire le conflit dans l’amour du bien et du mal. Nous pouvons ajouter à « bourgeoise » un adjectif : « petite ». En effet, cette héroïne est petite. Le désir de plaire au public la tire vers le bas [...]. Méfiez-vous, spectateurs trop indulgents qui vous lassiez déjà de cette petite bourgeoisie sentimentale et vous amusez maintenant à lui ôter sa chemise, le cinéma français si vous n’y prenez garde ne sera plus bientôt qu’un vieillard lubrique lorgnant une luronne dévêtue 9» .


Les jeunes Turcs, une fois passés derrière la caméra, tenteront d’éviter cette « dérive » en établissant leurs propres figures féminines : Riva, Lafont, Seberg, Seyrig, Karina, Moreau et Bardot, ces deux dernières ayant pourtant à leur actif une importante filmographie débutée sous le signe de la Qualité. A l’exemple de l’affiche du film de Godard Masculin/Féminin (1966), la plupart des films de la Nouvelle Vague nous montrent que l’une des originalités du mouvement est avant tout une nouvelle image des rapports de sexe alors que la plupart des films des années 30 à 50 avaient donné à voir l’image de familles patriarcales et bourgeoises au sein desquelles le mariage légalisait plus l’insertion de la femme dans la société qu’il n’officialisait une réelle ou supposée relation amoureuse 10. Les films mettant en scène Jean Gabin traduisaient très nettement cette tendance à faire l’apologie d’un patriarche dominateur de profession libérale ou proche de la finance (propriétaire foncier, avocat, notaire, chef de clan) et à légitimer la relation ambiguë de répulsion/attraction qu’il entretenait avec une (toujours) jeune épouse, relation qui pouvait, dans certains films, passer pour être à la fois conjugale et implicitement incestueuse. Sur ce sujet du patriarcat, force est de constater que la Nouvelle Vague évite de reproduire les images dominantes de la production française d’alors. L’image de Bardot, bien qu’ayant été utilisée durant près de 17 films par les cinéastes de la Qualité en tant qu’alibi du pouvoir masculin, s’en détache en partie avec Roger Vadim en 1958. En partie seulement, car pour le cinéaste, « La scène de Et Dieu créa la femme qui a le plus choquée, ce n’est pas celle où l’on voit Bardot nue, c’est une scène où, lors du repas dominical, Bardot descend insolemment dans la salle à manger pour prendre devant son mari des cuisses de poulet, ceci afin de nourrir son amant. C’est en fait cette séquence qui mettait à mal l’image traditionnelle de la famille qui a provoqué le plus de réactions d’hostilité » 11. La révolution incarnée à l’écran par Bardot se présente donc davantage comme une (r)évolution des valeurs sociales et familiales qu’un réel renouvellement de l’image purement sexuelle de la femme.


En effet, qu’elle soit d’essence érotique ou pas, la nudité à l’écran est un point de repère pour mesurer l’évolution de la société et les progrès de sa permissivité 12. Or, une lecture attentive des films de la Nouvelle Vague nous montre très vite que le développement de la nudité féminine ne semble pas à mettre plus au crédit des cinéastes du mouvement que de ceux qui les précédèrent. C'est pourtant l'une des confusions courantes émises à l’égard de la Nouvelle Vague, dont on a volontiers réduit l’apport à un érotisme aseptisé et à un libertinage parisien en milieu intellectuel, c’est à dire aux composantes moyennes du cinéma français contemporain... Cette réduction est une erreur. C’est aussi une mauvaise lecture. C’est oublier qu’au début des années 60, les groupes de pression moraux avaient encore une grande influence au sein du cinéma français :  la Commission de Censure impose encore en 1964 à Jean-Luc Godard la coupe d’un plan anodin montrant un slip tombant le long des jambes de Macha Méril dans Une femme mariée, la Commission d'Agrément du CNC demande dans sa réunion du 5 décembre 1962 des « coupures » dans le dialogue des Vierges de Jean-Pierre Mocky (film qui sera finalement interdit à l'exportation) ; la même commission exige le 27 mars 1963 un avis de pré-censure « en raison des sujets traités » pour Le Mépris (Godard) et Châteaux en Suède (Vadim, dont on craint un nouveau « Liaisons Dangereuses »), tandis que Les Cousins (Chabrol), Jules et Jim (Truffaut) et Vivre sa Vie (Godard) sont interdits de diffusion aux moins de 18 ans... 13. Il faut se souvenir enfin qu'étaient totalement interdits les modes de contraception, les films, revues, émissions reflétant, de près ou de loin, un caractère d'ordre sexuel tandis que les préfets de l'époque ne cessaient de poursuivre, au travers le pays, films et écrits qui auraient pu, implicitement ou non, « inciter à la débauche ». Aucune allusion non plus à la sexualité de la femme dans les médias officiels, radio et télévision. Aussi, la Nouvelle Vague joue avec cette pudicité, et il n’est pas impossible qu’elle ait servi, dans un certain nombre de films, à accroître le potentiel publicitaire de leurs principaux auteurs.


Là où le cinéma des années 60 se montre par contre plus novateur, c’est certainement sur le plan des rapports de domination, jusqu’ici largement favorables à l’image des désirs masculins : renoncer au traditionnel « placement » en scène d’actrices en tant qu’objets fantasmatiques pour désormais faire vivre à l’écran des personnages de femmes assumant leur sexualité beaucoup plus librement 14, encore que cette tendance soit plutôt à porter au crédit d’auteurs se situant à la « périphérie » de la Nouvelle Vague stricto sensu.

Cinéaste associé à ses début à la Nouvelle Vague, Marcel Hanoun retrace ainsi dans Le huitième Jour le parcours d’une femme (Emmanuelle Riva), seule et inhibée, essayant de vaincre ses difficultés à communiquer avec les hommes 15. En 1958, si la Centrale Catholique demande le boycott du film de Louis Malle, Les Amants, pour « incitation à la débauche » , c’est que l’on y voit Jeanne Moreau manifester de réels signes de jouissance lors de la scène d’amour avec Jean-Marc Bory. L’année suivante, des voix s’élèvent contre l’  « érotisme » d’ Hiroshima mon Amour d’Alain Resnais, mais là encore, c’est moins contre les gros plans du couple, elliptiques et fortement esthétisés, que par la façon dont Emmanuelle Riva tourne son film au Japon (en prenant un amant de passage...). Le Mépris (1963) de Jean-Luc Godard, se place lui aussi à l’opposé de l’image dominante de la femme dans le cinéma français : Les fameuses séquences (imposées par la production américaine) de Bardot nue (dont la célèbre séquence d’ouverture) seront mises en scène par Godard en transgressant d’un bout à l’autre les codes sexuels et sociaux du cinématographe, en ramenant le corps de Bardot à une dimension iconique assumant pourtant pleinement la charge érotique dont elle est l’incarnation. Enfin, autre cinéaste de la Nouvelle Vague, si Jacques Rivette essuie en 1966 les foudres groupées de la censure gouvernementale et ecclésiastique, c’est plus pour le récit de la difficulté avec laquelle la religieuse Suzanne Simonin assume son ascèse sexuelle que pour la réelle qualité plastique d’un film situé bien loin du pamphlet anticlérical ni, pour reprendre le mot de Gérard Lenne, d’ « une variation pornographique sur le scandale des couvents » 16. Bref, au delà de la nudité, le cinéma de la Nouvelle Vague déjoue très souvent une sorte de néo-moralisme en plaçant volontairement la femme en position de force, car l’expression à l’écran de ses sensations est paradoxalement tout autant recherchée que redoutée par le pouvoir masculin. En ce sens l’autre grande égérie de l’époque, Michelle Mercier, qui connaît la gloire dans les années de l’après Nouvelle Vague avec la série des Angélique (Angélique, Marquise des anges), incarne un net retour en arrière, et ce malgré l’érotisme « soft » sur lequel les créateurs de la série entendent surfer ainsi que l’image volontiers provoquante d’  « une femme résolue en quête de son destin » (sic).


A la question de savoir s’il avait favorisé dans ses films l’image de la femme, Truffaut avait argumenté : « Comme personnage, oui, parce qu’on m’a souvent accusé d’avoir des hommes faibles et des femmes qui décidaient, des femmes qui commandaient les événements, mais je crois que c’est comme ça dans la vie, c’est en tout cas comme ça dans mes films, et on me l’a souvent reproché, c’est à dire que souvent les hommes sont irrités par mes films... » 17. Quant au personnage central de Jules et Jim (1962), une femme autour de laquelle s’organise le champ d’action narratif du film, « oui, [elle a plu au public féminin] car c'était une femme en avance sur son époque » 18.



Cependant, hormis Rohmer (qui construira l’essentiel de sa filmographie sur le sujet du marivaudage entre adolescents, preuve s’il en faut que l’espérance de vie des thèmes n’est pas toujours question de modes ou de vagues, nouvelles ou pas) et Truffaut, c’est peut être sur ce sujet des rapports amoureux que la Nouvelle Vague réussit le moins à trouver le ton juste, se rapprochant en ce sens de ses aînés de la Qualité. Après leurs premiers coups d’éclats, Malle et Vadim reviendront à des films plus classiques sur le plan formel et nettement plus conventionnels quant à l’image de la femme dans ses rapports amoureux, ce qui tendra à les isoler peu à peu des cinéastes les plus audacieux sur ce plan-là. Les mauvaises rencontres (1955) d’Alexandre Astruc, cinéaste considéré comme l’un des « pères spirituels » du mouvement, rattachait déjà l’image de la femme à une domination masculine clairement avouée : Catherine (Anouk Aimée) ne réussit sa vie professionnelle à Paris (devenant chroniqueuse de mode) qu’après une liaison avec Blaise Walter (Jean-Claude Pascal), le directeur d’un grand quotidien parisien, lequel deviendra son mentor et la fera accéder au monde de la presse. Même mythologie dans Vie privée (1961) de Louis Malle (film produit en France par la MGM) où Brigitte Bardot (danseuse de ballet) est instrumentalisée entre les mains d’habiles personnages masculins détenant les capitaux et fabriquant de toutes pièces une célébrité qui échappe à un talent supposé (que le film s’attache soigneusement à gommer). Malgré les écrits de son auteur qui avaient prôné l’apparition de nouveaux rôles féminins, les films de Doniol-Valcroze ne s’évadent eux aussi qu’avec difficulté des décors familiers, dont l’Eau à la bouche (1959) reste certainement l’un des meilleurs exemples : jeunes gens et libertinage distingué dans le milieu de la haute bourgeoisie provinciale (et Dieu sait si le personnage de la « petite bourgeoise sentimentale » avait servi d’alibi aux nombreuses attaques du cinéaste contre le cinéma classique). Enfin, en 1961, Claude Chabrol essuie son premier échec avec Les Bonnes femmes, parvenant difficilement à trouver le ton juste dans ce qu’il voulait être une « analyse comportementale filmée » sur les femmes.


De ce point de vue, on peut distinguer Malle, Vadim, Rohmer, Doniol-Valcroze, Chabrol et Kast des autres cinéastes de la Nouvelle Vague par une mise en scène assez formelle masquant une présentation révolutionnaire (ou se présentant en tout cas comme telle) des rapports de sexe dont on pourrait retrouver l’origine dans Sade et Choderlos de Laclos, c’est à dire dans un courant littéraire et intellectuel resté souterrain au XIXe siècle et que le surréalisme aurait réhabilité au cinéma au lendemain de la seconde guerre mondiale.


Ceci dit, il ne faudrait pas s’y méprendre : ce renversement apparent de la domination cache mal une certaine instrumentalisation de l’image de la femme au nom d’une liberté de tourner. Quant au désir de renouveler la panoplie classique des rôles féminins, les cinéastes de la Nouvelle Vague, pas plus finalement que leurs successeurs directs, ne parviendront à l’établir durablement au sein de leur filmographie. La tendance à vouloir commercialiser comme telle l’image de la « révolution sexuelle » incarnée par Bardot (

Jeanne Moreau.

Jules & Jim

(François Truffaut, 1962)

souvent d’ailleurs par les mêmes qui gravitaient autour de la Nouvelle Vague) ramènera par exemple l’actrice à un cinéma d’obédience nettement plus « machiste » caractérisé, au début des années 70, par un certain nombre de films qui entendaient tourner en caricature la guerre des sexes (
Calmos de Blier, 1973 ; Les Pétroleuses de Guy Casaril, 1971 ; Don Juan 73 de Vadim, Féminin, Féminin d’Henri Calef, 1971 ; Sex Shop de Berri, 1972…), film qui évitèrent rarement le moralisme gratuit, sinon un certain populisme. Malgré l’ image volontiers provoquante de femmes prenant en main leur sexualité, les films de la Nouvelle Vague ne se démarquèrent finalement guère de ceux de la Qualité, dépassant rarement le stade des intentions. Aussi, malgré tout l’intérêt que peut présenter le mouvement, la tendance récurrente, apparue (et entretenue) ces dernières années, à vouloir absolument faire de la Nouvelle Vague une « école », au sens étymologique du mot, trouve encore ici, dans cette difficulté à arracher le mouvement issu des Cahiers au cinéma classique, une ambiguïté de taille, son ambiguïté principale19.


Faut-il en tenir grief aux cinéastes de la Nouvelle Vague en particulier ? Les dominations sexuelles au cinéma ne sont-elles pas finalement vécues indifféremment par les deux sexes, cinéastes comme actrices, les uns la mettant en scène au nom de la logique commerciale, les autres s’y pliant pour la réussite professionnelle (« L’homme à la caméra, la femme à l’écran », pour reprendre le mot de Guy Chapouillié 20 au sujet du film de Vertov, cinéaste qui ouvrait, lui, un champ nouveau pour l’image de la femme à l’écran) ?. Les dominations sexuelles au cinéma ne sont-elles pas finalement aussi la soumission unanime à une norme culturelle sexuée, celle-là même véhiculée par le cinéma commercial de consommation courante, celui réfléchissant et infléchissant les attentes et les mythes de la société ? C’est ce que sous-entend Bourdieu dans La domination masculine (1998), en renvoyant le spectacle cinématographique et télévisuel à une « une représentation conservatrice de la relation entre les sexes, celle-là même que condense le mythe de l' éternel féminin» 21. Conclusion sur laquelle s’alignaient déjà en partie Cinéthique et Les Cahiers du Cinéma dans années 70, en notant que si l’idéologie sociale et sexuelle est toujours donnée comme un produit historiquement déterminé, le cinéma ne peut objectivement y échapper : « Ainsi, le cinéma est-il oblitéré, au premier mètre de pellicule impressionnée, par cette fatalité de la reproduction, non des choses dans leur réalité concrète, mais telles que réfractées par l’idéologie 22 ».


Bien loin, donc, d’être un fantasme du supposé inconscient collectif (supposé, car l’imagination populaire ne fonctionne jamais que sur des modèles déjà fournis), cette image de l’éternel féminin que le cinéma reproduit depuis ses origines semble inexorablement rattachée au médium. Les audaces sexuelles de la Nouvelle Vague auront donc peut-être été, à un moment-clé de l’histoire du cinéma, de tenter de s’en affranchir, et en tout cas certainement de s’affranchir de cette finalité intrinsèquement masculine du rapport à l’image, au sens où l’entendait François Mauriac : je suis voyeur mais ce que je vois, rien d’autre qu’au cinéma je ne le verrai aussi entièrement, aussi intensément, aussi directement, un monde à gagner disent les uns, un monde perdu à retrouver disent les autres, de toutes façons un monde qui n’est pas et que je peux faire mien...


Frédéric Gimello-Mesplomb


1 Ecrit en 1975, le texte de Laura Mulvey a bénéficié d’une seconde édition révisée en 1989 (Editions Mc Millan, Londres). Notons que cette théorie fut l’objet de plusieurs re-écritures, parfois critiques, de la part de chercheur(se)s en women studies et film studies, dont Laura Mulvey elle-même.

2 IRIS n° 26 Cultural Studies/Gender Studies et études filmiques.

3 A qui l’on doit une récente redécouverte de l’œuvre : réalisation en 1995 du film de Marquise Lepage Le Jardin oublié: La vie et l’œuvre d'Alice Guy-Blaché ; parution en 1996 de "The Memoirs of Alice Guy-Blaché" par Anthony Slide (Scarecrow Press, New York) et numéro des Archives de la Cinémathèque (octobre 1999) consacré à Alice Guy, coordonné par Alison McMahan (Women Film Pioneers Project).


4 Jacques Siclier, Nouvelle Vague, Paris, ed. du Cerf, 1961, pp. 43-44.

5 La société française au miroir de son cinéma, Condé/Noireau, ed. Corlet, 1996, p.65.

6 Voir à ce sujet l’intéressant passage que leur consacre René Prédal dans 50 ans de cinéma Français, Paris, ed. Nathan, 1996.

7 « Règlements de comptes », In Le cinéma français de la quatrième république, Paris, Cinémathèque française/Musée du cinéma, 1993, p.23.

8 Point de vue développé plus en avant par William Reich dans sa fameuse « mystique de la morale sexuelle ».

9 Cahiers du Cinéma n° 31, janvier 1954

10 Cf. Pierre Murat « Les unes, l’autre : les actrices et la naissance du mythe B.B. » in D’un cinéma l’autre, Paris, ed. du Centre Georges Pompidou, 1988. Voir aussi Ginette Vincendeau : Jean Gabin, anatomie d’un mythe, Paris, Nathan, 1993.

11 Entretien ORTF, archives privées de l’auteur.

12 En ce sens les travaux menés à Bordeaux III par Martine Boyer et Francis Hippolyte, et que l’on peut situer dans la lignée des théories de l’ « après-Ferro », sont en tout points remarquables.

13 (Sous-Commission chargée d’émettre un avis sur les demandes d’agrément de long métrages, Procès verbaux n° 70 et 77, séances du 5 décembre 1962 et 27 mars 1963 (Pdt Roger Salard, Vice Pdt Raoul Ploquin), conservés à la BIFI, Paris.

14 En 1965, Jeanne Moreau notait à propos du cinéma des années 50: « Vous savez que les canons de la beauté étaient alors très stricts. Une actrice devait répondre à un certain type et pas à un autre. C’était l’époque des femmes blondes. La grande époque de Martine Carol... Pourtant quelque chose a changé : on ne parle plus des actrices de la même façon. Je parlais tout à l'heure des actrices d'autrefois : je crois qu'elles étaient plutôt crées par des misogynes. Aujourd'hui, je crois que les réalisateurs aiment davantage la femme.» (Cahiers du Cinéma n° 161-162, janvier 1965, p.80.)

15 La timidité est également mise en scène par François Truffaut dans Tirez sur le pianiste (1960) : la scène de la promenade entre Aznavour et Marie Dubois montre clairement l’aveu d’impuissance du héros masculin, chose inimaginable quelques années auparavant, au temps béni de Gabin, de Marais ou de Gérard Philippe.

16 Gérard Lenne L’Erotisme au Cinéma, Paris, La Musardine 1999.

17 Entretien avec Aline Desjardins, Paris, ed. Ramsay, 1987, p. 51.

18 Idem.

19Jacques Aumont ayant dans le même temps démontré, dans l’œil Interminable, la fragilité à appliquer comme tel le concept d’ « impressionnisme » au cinéma.

20 Entrelacs n° 2, octobre 1994.

21 De la domination masculine, in Le Monde Diplomatique, août 1998, p.24.

22 Cahiers du Cinéma n° 216, p.12

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